C’est un look très « Coachella 2015 » que je vous présente aujourd’hui, avec cette veste Nénuphar en viscose fleurie. J’en profite pour faire un petit aparté en fin d’article sur la question du kimono (enfin, « petit », c’est vite dit) : suivez-moi si vous êtes partants pour une discussion « vocabulaire et définitions » comme on les aime !

Mais avant de nous lancer là dedans, parlons un peu de cette veste : il s’agit d’une des toiles réalisées avant la sortie du patron, pour en vérifier le tombé dans un challis de viscose. Cette version est en fait un mélange de la version A (plus courte et à manches évasées) et de la version B (plus longue, avec des volants froncés aux manches). Ici j’ai cousu aux manches de la version A un volant plus petit que celui de la version B, ce qui donne des manches de la même longueur que celles de la version B mais moins droites. Je préfère les manches évasées comme ça, mais du coup les fronces ne sont plus alignées avec celles du dos.

Je la trouve plus facile à porter que ma version verte en batiste de coton, qui a plus de tenue, mais je dois dire que je ne l’ai quand même pas beaucoup portée. Je pense que je porte pas mal d’imprimés au quotidien, et quand j’ai besoin de me couvrir un peu plus j’ai donc plutôt tendance à choper un gilet uni (gris ou bleu marine) à rajouter à ma tenue – alors qu’avec Nénuphar, j’ai besoin de penser toute la tenue en amont pour aller avec la veste. Je l’aime beaucoup ceci dit hein, c’est simplement que ce n’est pas un vêtement qui s’associe facilement avec le reste de ma garde-robe. Je me demande si je porterai davantage une version unie, ou si la forme y est aussi pour quelque chose.

Le tissu est un challis de viscose que j’avais trouvé chez Sewfisticated Fabrics à Boston (enfin à Somerville pour être précis), où j’avais déjà acheté le lin rouge de ma jupe Fumeterre et le tissu brodé de ma robe Chiara. Depuis que je suis revenue dans le sud cela me manque beaucoup d’avoir accès à un magasin de tissu local et pas cher, surtout qu’avec Deer&Doe je couds vraiment beaucoup de toiles : avec le développement des nouveaux patrons en ce moment, j’en suis presque à une par jour, ce qui consomme énormément de tissu. Et autant pour certains patrons je peux utiliser de la toile, autant pour ceux qui nécessitent du jersey ou des tissus fluides c’est une autre histoire…

A Paris j’avais Stop Tissus, à Boston Sewfisticated Fabrics, mais à Raleigh je n’ai pas grand chose, car les magasins discount du coin vendent uniquement des tissus d’ameublement. D’un côté, j’ai donc Jo-Ann, une grande surface dont les prix sont gonflés artificiellement avec un système de soldes constantes qui m’horripile (avec un prix de base aux alentours de $13 / yard, c’est tout de même pas donné) et où il est très difficile de trouver autre chose que du polyester. D’un autre côté, deux ou trois magasins spécialisés dans les tissus de qualité et les patrons indés, ce qui est vraiment super mais je me vois mal utiliser des viscoses Cotton+Steel à plus de $20 le yard pour coudre des toiles. Du coup j’essaie de faire des stocks de tissus de base quand je commande sur internet, ce qui nécessite de s’y prendre bien en avance, mais pour l’instant c’est la meilleure solution que j’ai trouvée.

Venons en maintenant au sujet qui a animé la communauté couture anglophone ces derniers mois : la question du kimono. Si la veste Nénuphar a toujours été appelée « veste », elle a parfois été décrite comme étant « d’inspiration kimono » : bien que n’ayant pas de manches en T, son ampleur, ses manches larges, et son ouverture devant encadrée par une large bande d’encolure font partie des caractéristiques partagées par les vêtements désignés jusque récemment comme « kimonos », que ce soit dans le prêt-à-porter ou dans le monde des patrons de couture.

Et puis, en ce début d’année, Emi Ito a lancé un appel aux marques de vêtements (et, dans un second temps, aux créateurs de patrons) à réfléchir à leurs sources d’inspiration et à la pertinence de l’appellation « kimono », étant donné la longue histoire et le caractère sacré que peuvent revêtir ces vêtements traditionnels japonais. Suite à cette discussion, de nombreuses marques de patrons anglophones ont fait la démarche de modifier l’appellation de leurs patrons pour refléter plus fidèlement les vêtements en question : le « Wiksten Kimono » est ainsi devenu le « Wiksten Haori », le « Suki Kimono » la « Suki Robe », et le « Kochi Kimono » la « Kochi Jacket ». Chez Deer&Doe, la mention d' »inspiration kimono » a été retirée des descriptions du patron, d’autant qu’elle n’apportait aucune information sur le patron en lui-même.

En parallèle des questions d’appropriation culturelle, abordées par ailleurs par des personnes bien plus légitimes que moi, cette discussion est aussi une opportunité de réfléchir à l’utilisation et à la définition de certains mots, et comment celles-ci évoluent dans le temps. Comme vous le savez peut-être, une des choses qui me tient à coeur sur ce blog c’est d’être précise, et les questions de terminologie me passionnent vraiment (voir mon article sur la différence entre scuba et néoprène par exemple). Je trouve donc très intéressant de voir quelles dénominations les différentes marques de patrons indés ont choisies pour leurs patrons :
haori pour Wiksten, qui revendiquent pleinement l’inspiration japonaise derrière leur patron ;
robe (qui en anglais ne désigne pas une robe, mais est un mot fourre-tout qui inclut les robes de chambre, les soutanes de prêtre et les robes de magistrats) pour Helen’s Closet, Sew Over It, Named Patterns, ou encore By Hand London ;
jacket (veste) pour Papercut patterns ;
cover-up (un large vêtement couvrant qu’on porte par-dessus un maillot de bain) pour Patterns for Pirates.
Dans ses articles, Emi Ito propose aussi l’utilisation des termes duster (cache-poussière, un manteau léger et très long comme porté dans les westerns) ou simplement coat (manteau). Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse ici : c’est à chaque créateur que revient la responsabilité de choisir l’appellation qui lui semble refléter le mieux son patron. Mais la question me taraude : y-a-t-il un mot pour désigner ces vêtements anciennement regroupés sous l’appellation erronée de kimono ? Comment appelle-t-on un « vêtement léger et ample avec des manches larges en T, de longueur entre les hanches et les chevilles, ouvert sur le devant et fini par une large bande d’encolure, pouvant potentiellement être fermé avec une ceinture et porté aussi bien comme veste que comme vêtement d’intérieur » ? Est-ce même un concept qu’il est pertinent de nommer ?

 

Un autre point que j’ai remarqué est que le terme de « manche kimono » disparaît lui aussi des descriptions des patrons : la description du Sointu Tee par exemple ne parle plus de « kimono sleeves » mais de « wide sleeves » (manches larges). Or, en termes de patronnage, la manche kimono désigne une construction bien particulière : il s’agit d’une manche à même (grown-on), droite, et faisant un angle droit avec le corps (formant ainsi une forme de T), contrairement à la manche dolman qui s’affine en partant vers le poignet et est anglée vers le bas, et à la manche chauve-souris (batwing) qui commence très large et s’affine encore plus. Ce qui est intéressant c’est que de ce que j’en ai compris, les kimonos traditionnels et les haoris n’ont pas de manches à même, mais sont construits à partir de pièces rectangulaires ! Si l’utilisation du terme « kimono » pour désigner ce type de manche est non-seulement problématique mais aussi inexacte, quelle alternative proposer pour la distinguer des autres manches à même ? « Manche en T » peut-être ?

Nénuphar fleuri
Nénuphar – Deer&Doe
Mix versions A & B
Taille 38
Challis de viscose – Sewfisticated Fabrics, Somerville MA

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